À Lille, le sport pour soulager les patients atteints d’un cancer cutané
Au CHU de Lille, un dispositif permet aux malades suivis de pratiquer une activité physique en complément de leurs traitements. Le sport permet de diminuer leurs effets secondaires et agit sur le bien-être psychologique.
Jeudi 3 décembre, 16 heures 30. Les chaussures de sport crissent sur le sol du gymnase de l’hôpital Swynghedauw. Au programme du jour : tournante de tennis de table et ateliers de renforcement musculaire. Les huit participants sont des patients du CHU de la cité nordiste atteints d’un cancer de la peau. Les mardis et jeudis après-midi, ils viennent se dépenser le temps d’une heure.
Patrick Beillard, 62 ans, en plein effort. Photo : Flavie Legrain
Ces séances de sport collectives font partie d’un dispositif mis en place par le service d’onco-dermatologie du Professeur Laurent Mortier. Il donne accès à la pratique d’une activité sportive aux patients atteints d’un mélanome qui suivent un traitement au CHU. Il s’agit d’un soin de support, c’est-à-dire un soutien non-médical destiné à contrecarrer certains effets secondaires des traitements et à améliorer la qualité de vie des patients.
Des bienfaits pour le corps…
Maintenir une activité physique permet, en premier lieu, de diminuer la fatigue. Patrick Beillard, 62 ans, a commencé les cours de sport en fin d’année 2019, dès le début du programme. Ancien marinier, il a été diagnostiqué d’un mélanome il y a quatre ans. Il a alors été contraint d’arrêter son activité pour recevoir des traitements à l’hôpital. « Ce sont des séances intenses, explique-t-il. On dort bien après. On fait de bonnes nuits. » Les patients qui suivent des thérapies contre le cancer ont tendance à être très fatigués, et donc à être moins actifs. De ce fait, leurs muscles fondent et deviennent de moins en moins endurants. Ils finissent alors par tomber dans un cercle vicieux d’inactivité. Retrouver une pratique sportive permet d’augmenter sa masse musculaire et de réguler son sommeil.
Ce sont leurs médecins, leurs dermatologues ou les internes de l’hôpital qui proposent aux patients de bénéficier du soin de support. Bien que cela leur soit fortement recommandé, ce n’est pas obligatoire. L’activité physique permet aussi de diminuer sa masse grasse et d’améliorer ses capacités cardio-respiratoires. À terme, cela aide à réduire l’essoufflement. Ces bienfaits sur la santé aident les patients à retrouver leur autonomie, l’objectif étant de leur offrir la vie la plus « normale » possible.
Roland Martinache, 74 ans, participe aux séances de sport depuis octobre 2019. Faire de l’exercice lui permet de s’aérer l’esprit et de se sentir mieux au quotidien. Photos : Flavie Legrain
…et la tête
Le sport agit également sur le bien-être psychologique. Les séances de groupe, par exemple, permettent aux patients de rencontrer des personnes qui partagent les mêmes problèmes, de discuter et de sortir du cadre de l’hôpital et de la maladie. Patrick Beillard apprécie la bonne ambiance dans l’équipe. « On a une bonne troupe, raconte-t-il. Dès qu’il y a un nouveau, on lui dit qu’on peut se tutoyer. » En plus, plaisante-t-il, « ça nous permet de sortir, et ça nous empêche de grossir ! ». Lorsque l’on est diagnostiqué d’une pathologie au pronostic sévère, on peut avoir tendance à se renfermer ou à se trouver progressivement isolé par sa famille et ses amis, explique Marie Boileau, interne de dermatologie au CHU de Lille. Le sport agit ainsi comme vecteur de réinsertion sociale.
Les séances de sport sont animées par Clémentine Dehoux, enseignante en activité physique adaptée (APA). Formée à cette approche et diplômée d’un master STAPS, elle est capable de personnaliser les exercices en fonction des capacités de chaque patient. « Il faut s’assurer de ne pas faire de bêtises avec le sport », indique-t-elle. « Chez les personnes atteintes d’un mélanome, on peut avoir des métastases à plusieurs endroits du corps. Au niveau de la jambe, par exemple. Si on fait des squats à chaque fois, on va compresser la tumeur, ce qui est très mauvais. »
Entre l’enseignante et les patients du groupe, des liens se sont tissés. En les accompagnant durant une période particulière de leur vie, Clémentine Dehoux, son dynamisme et son sourire, apportent aux patients soutien et réconfort, le tout dans un cadre ludique qui diffère du contexte hospitalier habituel. Pour la remercier, cette année, comme la précédente, les membres du groupe se sont cotisés pour lui offrir un cadeau de Noël : une carte cadeau Decathlon.
Vers de nouvelles habitudes
Le programme prévoit trois types de prise en charge. D’abord, les patients les plus autonomes peuvent être orientés vers une structure qui propose de l’activité physique adaptée. Ensuite, il est proposé à ceux qui peuvent se déplacer facilement jusqu’au CHU de participer aux séances collectives, deux fois par semaine.
Enfin, les patients les plus fatigués et ceux qui ne peuvent pas se rendre régulièrement à l’hôpital se voient suggérés de faire une séance individuelle ou collective une fois par mois, lorsqu’ils viennent recevoir leurs traitements. Pour observer une véritable amélioration de la qualité de vie des patients, l’idéal est qu’ils suivent le programme pendant trois mois, à raison de deux fois par semaine, puis qu’ils poursuivent une activité pendant toute la durée de leurs traitements. En effet, après une prise en charge initiale, ceux qui le souhaitent peuvent être autonomisés à l’aide d’un carnet d’auto-exercice ou être réorientés vers des structures proposant de l’activité physique adaptée, à proximité de leur domicile.
Pour Clémentine Dehoux, l’objectif est de trouver des activités qui plaisent aux patients. « Beaucoup de personnes commencent le sport seulement une fois qu’elles sont malades, observe-t-elle. Le but quand elles viennent ici, c’est de leur faire aimer ça. » Patrick Beillard doit encore recevoir quelques injections d’immunothérapie. En attendant, il continue de participer aux séances du mardi et du jeudi. Il s’est aussi acheté un tapis de course : à l’issue de ses traitements, il continuera de faire du sport chez lui, et peut-être au Lille Université Club, avec sa femme.
Pour le moment, le soin de support est au stade d’évaluation. À travers sa thèse d’exercice, qui porte sur le programme, Marie Boileau, interne de dermatologie, examine la mise en œuvre rétrospective du dispositif et les bénéfices qu’il représente pour les patients. En fait, note-t-elle, « dans les cancers les plus fréquents (prostate, sein, colon, poumon) de nombreuses études ont montré les bénéfices de programmes d’activité physique adaptée en termes de réduction de fatigue, de diminution des effets secondaires et même de survie globale. Ce n’est pas encore le cas dans le mélanome puisque l’amélioration du pronostic vital des malades n’est que récente. Néanmoins, l’activité physique adaptée fait aujourd’hui partie intégrante des recommandations dans la prise en charge globale des patients atteints de cancer. »
Mise en place du soin de support : de l’élaboration aux premiers résultats
L’idée du service onco-dermatologie de mettre en place un soin de support par l’activité physique adaptée pour les patients atteints d’un cancer de la peau prend sa source dans les récents progrès en cancérologie. Ces quinze dernières années, l’arrivée de nouveaux traitements, tels que l’immunothérapie et les thérapies ciblées, ont révolutionné la prise en charge du mélanome, en permettant une amélioration de la survie des malades – chez qui il est désormais possible d’envisager une rémission. « Aujourd’hui, il y a des patients atteints d’un mélanome qui vivent bien et chez qui on peut réfléchir comme pour des personnes qui ont un cancer du sein, par exemple. Ils ne sont plus forcément condamnés. C’est pourquoi on a voulu les faire bénéficier des mêmes soins de support. »
Le dispositif est à l’œuvre depuis 2019 au CHU de Lille. Entièrement gratuit pour les patients, il est financé par les dons de laboratoires pharmaceutiques comme Pierre Fabre et par la Ligue contre le Cancer. Pour les séances collectives, le gymnase est prêté par le service de médecine physique et réadaptation du Professeur André Thevenon.
Lors du premier confinement, le programme a dû être suspendu. La progression des patients a alors été partiellement perdue et ces derniers se sont trouvés isolés. Durant cette période compliquée, les patients qui le souhaitaient ont pu continuer à pratiquer une activité sportive via des auto-exercices. Parallèlement, un sondage de satisfaction leur a été envoyé pour faire un état des lieux de leurs ressentis vis-à-vis du soin de support. La majorité d’entre eux ont estimé avoir progressé en sport et se sentir mieux. « Quelques mois seulement après la mise en place du soin de support, on a pu observer que les patients en tiraient déjà des bénéfices. Et ça, c’est notre première satisfaction », sourit Marie Boileau.