AMARAPE et RENAPE : Une collaboration contre les maladies rares du péritoine
Les cancers du péritoine sont des maladies rares, peu connues du grand public et du monde médical. Confrontée au manque d’information sur ces tumeurs, Patricia Pichon a co-créé l’association AMARAPE. A ses côtés, le réseau RENAPE organise le traitement de ces maladies dans toute la France, sous la coordination de Laurent Villeneuve. Entretien croisé.
Patricia Pichon, co-fondatrice d’AMARAPE
Laurent Villeneuve, coordinateur de Renape
Quel est le constat qui vous a poussé à créer AMARAPE et RENAPE ?
Patricia Pichon : Nous avons créé l’association avec deux autres patientes, parce que nous étions directement concernées par ces maladies. Nous avons été prises en charge par des centres spécialisés, mais il y a eu des errances diagnostiques. Les informations disponibles étaient parcellaires, anxiogènes, pas forcément vérifiées scientifiquement… On voulait faciliter l’accès aux informations et aux soins spécialisés, et éviter aux patients d’avoir un parcours un peu chaotique avant d’avoir un traitement.
Laurent Villeneuve : Dans les années 1990, il y avait deux centres qui s’intéressaient au cancer du péritoine : Lyon-Sud et l’Institut Gustave Roussy. Une nouvelle technologie de chimiothérapie a vu le jour. Les maladies du péritoine ont une évolution locorégionale, c’est-à-dire uniquement dans l’abdomen, alors le professeur François-Noël Gilly a développé la chimiothérapie intrapéritonéale, qui ne passe pas par la voie sanguine. Cette chimiothérapie est chauffée, on l’appelle donc la CHIP : chimiothérapie intrapéritonéale hyperthermique. Cette technologie s’est développée dans différents centres en France, on a commencé à développer un réseau. RENAPE est né un peu plus officiellement grâce au plan Cancer monté par l’Institut national du cancer (INCa), et qui présentait un appel à candidatures en 2009. Lyon-Sud a candidaté, le dossier a été retenu. Avant cela, c’était un « groupe de chippeurs », des chirurgiens amis, mais rien n’était formalisé.
Amarape
Association contre les maladies rares du péritoine
Date de création : 2007
Missions : Faciliter l’accès à l’information sur les maladies rares du péritoine, accompagner les patients et leurs proches, mettre à leur disposition une ligne d’écoute pour discuter avec d’anciens patients, financer la recherche.
Site internet : http://www.amarape.com/
Renape
Réseau national de prise en charge des tumeurs rares du péritoine
Date de création : 2009
Regroupe 2 centres experts cliniques, 6 centres de compétences, 21 structures spécialisées rattachées sur l’ensemble du territoire français.
Missions : Organiser l’accès au diagnostic et aux soins des maladies rares du péritoine, mettre en place des réunions de concertation multidisciplinaires, promouvoir la recherche et améliorer la connaissance de ces maladies.
Site internet : http://www.renape-online.fr/
Comment se passe l’accueil des patients et de leurs proches par AMARAPE ?
PP : Les patients qui prennent contact avec nous sont soit des personnes déjà diagnostiquées, soit des personnes en attente d’un diagnostic. Elles cherchent à être informées, rassurées, accompagnées. Le contexte qui entoure ces maladies est particulièrement anxiogène, les patients ne connaissent pas la CHIP. On met aussi à disposition une écoute : des adhérents et des bénévoles sont formés par l’Alliance Maladies rares. La rareté de ces maladies est difficile à gérer : on se sent seul, isolé, donc on cherche des personnes qui ont eu la même pathologie. Ces anciens patients peuvent les aider et les rassurer sur le suivi de la maladie qui est long, il y a beaucoup d’examens. Les patients sont inquiets à chaque contrôle, mais la maladie est sournoise, il n’y a pas toujours de symptômes, alors ils sont nécessaires.
Il n’y a pas d’accueil des familles en tant que tel par AMARAPE, mais nous avons mis en place une salle des familles à Lyon-Sud par exemple. Les proches peuvent s’y rendre lorsque les patients sont hospitalisés plusieurs jours. Ça permet aux familles de se retrouver, d’échanger avec des psys, des assistantes sociales, pour aborder les problématiques du retour à la maison : les patients ne sont pas toujours autonomes après l’hospitalisation, donc ils ont besoin d’aide et de conseils. Ils se posent parfois des questions sur l’administratif, le droit à l’oubli par exemple, ou le retour à la vie professionnelle s’il faut un réaménagement, une retraite anticipée.
Nous avons mis en place une salle des familles à Lyon-Sud. Les proches peuvent s’y rendre lorsque les patients sont hospitalisés plusieurs jours.
La rareté de la maladie est-elle un obstacle à la création d’une communauté de patients et à la recherche ?
PP : On ne peut pas vraiment parler de communauté, à cause de la rareté de la maladie. En plus, le contact avec l’association se passe surtout par téléphone. Les patients se concentrent sur leurs propres difficultés. Certains, lorsqu’ils peuvent reprendre leur vie normale, mettent la maladie de côté. D’autres continuent de soutenir l’association, s’engagent et deviennent bénévoles.
LV : La rareté pose deux problèmes. D’abord pour connaître la maladie : il faudrait des dizaines voire des centaines de cas pour avoir une véritable représentativité. Ensuite, pour proposer des traitements expérimentaux : pour valider un nouveau traitement, il faut réaliser des essais cliniques. La méthode à appliquer est très bien lorsqu’il y a des milliers de cas, mais elle est moins adaptée pour les maladies rares. Ça nous prendrait dix ans pour tester un traitement, alors qu’entre-temps de nouvelles technologies se seraient développées. Ça nous pousse à innover. En plus, le traitement de référence actuel de la maladie est une chirurgie. Donc ce n’est pas possible de faire des placebos : on ne va pas ouvrir et refermer un ventre sans rien y faire.
Les patients sont-ils directement mis en contact avec AMARAPE et RENAPE lorsqu’ils sont diagnostiqués ?
LV : Les patients arrivent à RENAPE de manière très variable. Soit le patient est dans un centre périphérique, hors du réseau, et son médecin a eu vent de RENAPE et a le réflexe de le réorienter pour qu’il soit rapidement pris en charge. Malheureusement, des patients passent par un centre périphérique, puis un deuxième, un troisième, et arrivent à RENAPE « trop tard », la maladie est déjà bien avancée. Ce n’est pas terminé, mais c’est plus difficile à traiter. L’objectif, c’est que le patient soit orienté vers RENAPE dès qu’il y a une suspicion, le plus tôt possible et dans le centre le plus proche possible.
PP : Les exemples de parcours sont extrêmement variables. Parfois des médecins généralistes plus curieux que d’autres se réfèrent à Maladies rares info service. Là, AMARAPE et RENAPE sont repérés et mis en relation avec le patient. On souhaiterait que les médecins acceptent d’être dans le doute, il ne peuvent pas connaître toutes les maladies, alors il faut qu’ils connaissent les plateformes de maladies rares. En ce qui concerne AMARAPE, il y a des dépliants de l’association dans tous les centres spécialisés. Les médecins, les chirurgiens qui pratiquent les interventions nous connaissent et parfois suggèrent aux patients de s’adresser à nous s’ils semblent angoissés, inquiets.
Comment se passe la coopération entre AMARAPE et RENAPE ? Qu’en retirez-vous?
PP : On échange beaucoup. On a besoin des connaissances de RENAPE pour faire valider la pertinence de nos actions, et les médecins ont besoin de nous pour faire reconnaître les leurs. On a besoin les uns des autres. AMARAPE est une association reconnue, elle apporte le point de vue des patients et de leurs proches, tandis que RENAPE apporte le point de vue scientifique, la validation, et la prise en charge adaptée. L’association participe à la validation de la CHIP et de la chirurgie de cytoréduction, en portant la voix des malades auprès de la Haute autorité de santé (HAS). Et nos informations sont validées scientifiquement grâce à RENAPE.
LV : Ce couple permet de porter les points de vue des deux côtés. Cette double-vision est très utile, et très recherchée. Les instances, les tutelles et le ministère s’y intéressent par rapport à la prise en charge des patients, et des groupes scientifiques internationaux recherchent notre expertise, notre ancienneté, pour mettre en place des centres et des associations similaires. C’est vraiment une force qu’on met en avant.
Les maladies rares du péritoine
Le péritoine est une membrane tapissant les viscères, la paroi abdominale et le petit bassin. Différentes maladies rares peuvent toucher cette partie du corps, sans que leur cause ait été formellement identifiée. On évalue à plus ou moins 200 le nombre de nouveaux cas diagnostiqués chaque année. Depuis que la chirurgie de cytoréduction – qui enlève la tumeur visible – et la chimiothérapie intrapéritonéale hyperthermique (CHIP) – qui enlève la tumeur invisible – sont devenus le traitement de référence, le pronostic s’est nettement amélioré pour les patients, passant de moins d’un an à 60 mois environ.
En quoi consiste votre appel à projets pour développer la recherche ?
PP : Depuis que nous avons obtenu la reconnaissance d’intérêt général en 2014, les dons ont augmenté en quantité et en valeur. Grâce à cela, nous avons progressivement mis en place des bourses pour financer la recherche. Ces dernières années, nous offrons deux bourses de 10 000€ chacune. L’appel à projets demande aux chercheurs : « Qu’est-ce que vous faites pour mieux connaître, comprendre et prendre en charge ces maladies ? » Les candidats renseignent un document, et leurs réponses sont soumises à des experts hors du territoire français – la plupart des candidats proviennent du réseau RENAPE, donc nous demandons un avis extérieur. Ils valident la pertinence et l’intérêt des travaux. En fonction, AMARAPE choisit le lauréat, qui sera invité à présenter ses travaux et ses résultats à l’assemblée générale.
LV : C’est très important de soutenir la recherche. Il nous faut des projets, pour aller plus loin sur la génétique de ces cancers. On cherche à comprendre pourquoi la maladie récidive plus vite chez un patient que chez un autre, par exemple. Il y a encore des pistes à fouiller. L’association est utile pour amorcer des projets dans cette nouvelle ère. Les experts internationaux acceptent volontiers de nous aider parce qu’ils savent que le réseau est dynamique et que l’association est derrière. L’appel à projets permet de faire des recherches soutenues par une association, donc ancrées dans les problématiques des patients, pour apporter de vraies solutions. Ça fait le lien entre les experts et les patients, on garde un pied dans la réalité.
Sur vos sites, il est indiqué : « AMARAPE et RENAPE travaillent ensemble pour faire connaître et reconnaître les maladies rares du péritoine », qu’entendez-vous par « faire connaître et reconnaître » ?
LV : Comme le disait Mme Pichon, des cancers rares, il y en a plein. Les patients souffrent d’être isolés. On souhaite les faire connaître auprès du grand public, que les gens sachent à qui s’adresser pour une prise en charge correcte. On souhaite aussi une reconnaissance auprès des tutelles et des instances. Rien ne se fait sans moyens. On a besoin de moyens pour faire perdurer le réseau, et montrer que ces cancers existent. On a mis en place de premières actions qu’il faut améliorer.
PP : Faire connaître, c’est parler, être présent dans les lieux et les instances en lien avec les maladies. On crée plusieurs portes d’entrées. On participe à des actions conjointes avec l’Alliance maladies rares, à des congrès scientifiques. On bénéficie de la reconnaissance de la HAS pour amener le point de vue du patient, et être une association constituée. On veut rendre l’information accessible et aujourd’hui ça passe par Internet – on est d’ailleurs en train de refaire notre site.
LV : Si l’on vous parle tous les deux aujourd’hui, c’est pour faire davantage connaître ce cancer, cette association. Par ricochet, ils seront plus reconnus, et cette action reproduite plusieurs fois va faire changer les choses.