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Préserver sa féminité pendant le cancer

par Elisa Courcol | Avr 13, 2023 | Planète Crabe

Pendant un cancer, la féminité est renvoyée au second plan lors des phases de traitements, considérée comme futile. Toutefois, elle joue un rôle majeur dans le processus de guérison, par son impact sur le moral. Agir pour la conserver permet à certaines femmes de mieux vivre la maladie en se réappropriant leur corps.

Lors de l’annonce d’un cancer, certaines femmes se retrouvent confrontées à la peur de voir leur corps changer. Perte de cheveux, perte des poils, perte de poids jusqu’à la perte d’un ou des deux seins, les conséquences physiques d’un cancer et de son traitement sont multiples. Ces pertes sont une atteinte aux symboles traditionnellement associés à la féminité. Se pose alors la question de la perte d’identité. Comment peut-on se sentir soi-même, se sentir féminine lorsque que l’on a perdu ce qui faisait de nous une femme ?

Le combat contre la maladie passe alors aussi par la réappropriation d’un nouveau corps. Marion, 33 ans, raconte son combat, ses doutes, ses insécurités et les questionnements liés à son cancer. Diagnostiquée en 2020 d’un cancer du col de l’utérus après des saignements inhabituels, elle commence une première phase de traitement de trois mois, mêlant rayons et chimiothérapie. En février 2021, lors d’un rendez-vous de suivi chez le gynécologue, on lui annonce une rémission complète sans qu’aucun examen ne soit effectué. Mais une prise de sang de contrôle post-traitement montre un dosage en hormone anormal. Des examens complémentaires sont alors effectués et le résultat tombe : Marion est en rechute. Commence alors une nouvelle phase de traitement de six mois composés de séances de chimiothérapie. C’est à ce moment-là que des changements physiques importants apparaissent : perte de cheveux, perte des poils et du duvet.

Illustration par Elisa Courcol

L’acceptation compliquée d’un nouveau corps

Lors de l’annonce de la rechute, le plus compliqué à assimiler pour Marion est de savoir que son corps va se modifier avec la reprise des traitements : « C’est dur de revenir en traitement mais ce qui m’a fait le plus de mal, c’était de savoir que j’allais perdre mes cheveux et au moment où je les ai perdu, je me suis sentie très atteinte ». Pour la jeune femme, le cancer vient de lui voler une part de son identité et de sa féminité. Débute alors une phase de perte de confiance et d’estime de soi. La maladie s’accompagne de changements physiques mais également d’une remise en question forte sur son identité. Comment réussir à s’approprier son nouveau corps quand on ne supporte plus son propre reflet ?

« C’est mon regard qui a été le plus dur à supporter. Mon mari et les autres continuaient à me dire que j’étais belle. C’est con mais lui a continué de m’aimer alors que moi je ne m’aimais pas. Sans mes cheveux, ni mes sourcils, je ne me sentais plus moi-même alors qu’en fait on est la même personne mais je ne le voyais pas comme ça. Mes cheveux et mes sourcils font partie de mon identité et à ce moment-là, je me suis dit que je n’étais plus la même personne. Je ne voyais pas comment on pouvait m’aimer comme ça, comment on pouvait me reconnaître »

Pour tenter d’accepter ce nouveau corps, il a fallu se le réapproprier. Pour la jeune femme, cela est passé par l’utilisation de soins et de cosmétiques. 

Prendre soin de son corps pour se le réapproprier

Marion a toujours pris soin d’elle et l’annonce de son cancer n’a pas changé cette habitude. Le but : ne pas paraître malade. Pour certaines femmes comme Marion, c’est une façon de se battre contre la maladie « quand on me croisait dans la rue, on ne pouvait pas savoir que j’étais malade, c’est vrai que ça m’a aidé à mieux cohabiter avec mon corps ». Les cosmétiques vont alors entrer en jeu dans ce qu’on appelle “les soins de support”. Ces derniers vont agir sur l’aspect moral et psychologique et plus généralement sur la qualité de vie, là où les traitements médicamenteux vont agir sur les cellules cancéreuses. Ces derniers existent sous différentes formes et sont propres à chacun.e.

Les besoins de Marion ont principalement été axés sur la nécessité de soigner les conséquences des traitements sur sa peau et notamment celle du visage, où la perte du duvet a entraîné d’importantes sécheresses. Elle a également exprimé le besoin de ne pas avoir l’air malade et fatiguée pour pouvoir faire face au cancer. Elle a donc utilisé du maquillage afin de se redessiner des sourcils ou pour avoir bonne mine. Cela est aussi passé par l’utilisation de foulards ou de perruques pour camoufler la perte de ses cheveux. Pour l’accompagner, la jeune femme a fait appel à son esthéticienne. Cette dernière lui a prodigué des conseils pour se maquiller et notamment apprendre à tracer ses sourcils.  

Ayant une totale confiance en cette esthéticienne, Marion n’a pas ressenti le besoin d’aller voir des personnes spécialisées. Toutefois, pour être accompagné dans cette démarche de réappropriation de son corps, les patients peuvent faire appel à des socio-esthéticiennes. Ces professionnels sont formés à l’accompagnement des personnes malades. Elles leur prodiguent du bien-être à travers différents services comme des massages, des soins ou encore des sessions de maquillage. Elles assurent également un rôle d’écoute dans un environnement de confiance au sein des hôpitaux, d’associations spécialisées ou encore dans leur propre cabinet. Elles vont également pouvoir orienter les patients vers des cosmétiques adaptés. Bon nombre des cosmétiques présents sur le marché ne sont en effet pas adaptés aux peaux fragilisées par les traitements. Marion a utilisé ces produits non adaptés durant toute la phase des traitements par manque d’information. C’est très tardivement qu’elle a découvert, sur le compte Instagram d’une influenceuse atteinte d’un cancer, l’existence de la marque MÊME, qui propose des produits adaptés aux personnes sous traitement sans laisser de côté le plaisir de prendre soin de soi. Aujourd’hui, Marion utilise ces produits qui l’aident à guérir les conséquences des traitements sur son corps et dans le même temps sur son esprit.

En 2023, Marion est toujours sous traitement afin de maintenir les effets de la chimio   ©Marion

Des cosmétiques adaptés

Lors de l’annonce, le personnel médical informe le patient de la procédure à suivre et peut être amené à prescrire des soins pour en amoindrir les effets secondaires. Ces soins sont souvent très médicalisés et mettent de côté la sensorialité et le plaisir. Judith, créatrice de la marque MÊME, en a fait l’expérience à travers sa maman, qui était atteinte d’un cancer du sein. Très coquette, sa maman a toujours continué à prendre soin d’elle durant la maladie. Judith s’est rendu compte que c’était pour elle un moyen de continuer à se trouver jolie malgré son corps altéré par la maladie. C’était pour elle un moyen de continuer à se battre. Après le décès de sa maman, lorsqu’elle avait 19 ans, Judith a eu l’envie de créer une marque adaptée aux personnes malades qui leur permettraient de continuer de prendre soin d’elles sans laisser de côté le plaisir. Mais c’est seulement lors de son stage de fin d’études dans le marketing-développement, où elle a rencontré Juliette, que le projet s’est concrétisé. Juliette était elle aussi étudiante dans la même filière.

Judith et Juliette, les créatrices de MÊME ©MÊME

Les deux jeunes femmes se sont tout de suite trouvées. Judith a confié son projet à Juliette qui a été réceptive, puisque plusieurs femmes de sa famille sont atteintes d’un cancer. Après deux ans de recherche et développement, MÊME a finalement vu le jour en 2017. La marque propose des soins adaptés aux personnes sous traitement afin de les aider à limiter les effets secondaires qui peuvent apparaître sur la peau, les ongles ou encore le cuir chevelu. Lors de la maladie, les soins classiques peuvent s’avérer inutiles ou contre-productifs. La marque a donc adapté la composition de ses produits pour permettre aux personnes qui le souhaitent de les utiliser sans se poser de question durant cette période où tout devient sujet à réflexion. Au-delà de la composition “clean”, les créatrices ont surtout voulu mettre l’accent sur les notions de plaisir et de bien-être, comme l’explique Lucile Sanquer, responsable communication de la marque : “Si on remet la sensorialité au cœur des produits, on va aussi donner l’idée qu’on peut prendre plaisir à prendre soin de soi et prendre soin de soi c’est aussi une manière de se battre, de se réapproprier son corps”.

 

La marque propose différents types de produits comme des crèmes hydratantes ou des soins fortifiants pour les ongles et les cheveux ainsi qu’une gamme de maquillage et des compléments alimentaires post-traitement. Un blog dédié aux conseils beauté et bien-être permet également d’accompagner celles et ceux qui en font la demande dans un moment où le flot d’information est conséquent. En 2023, MÊME continue de se développer et tend à élargir sa gamme de soins et maquillage afin de répondre aux plus grands nombres de problématiques.

La préservation de la féminité pendant le cancer reste un sujet peu pris en compte dans les protocoles de guérison. Pourtant, agir pour la conserver en prenant soin de soi est un moyen pour ces femmes de se réapproprier leur corps que la maladie a abîmé. C’est aussi agir pour retrouver une estime et une confiance en soi, qui sont des facteurs majeurs dans la préservation du moral. Se sentir bien dans son corps et dans son esprit permet de mieux vivre la maladie. Aujourd’hui, des professionnels de santé, des associations et des marques de cosmétiques s’engagent afin de permettre à chaque femme de pouvoir avoir accès à des soins et des cosmétiques adaptés et les accompagner dans leur combat face au cancer.


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