Dormance tumorale : les chercheurs face au mystère des cancers endormis
Les principales causes de mortalité des individus atteints de cancers sont liées au risque de rechute. Difficilement explicables, cela se manifeste parfois plusieurs dizaines d’années après la rémission des patients, par le réveil de cellules jusqu’alors en latence. Ce concept récent en cancérologie se nomme « la dormance tumorale ».
Le Docteur Xavier Thuru dans son laboratoire. Crédits photo : Matthias Gérard
Moins de 30%. C’est le nombre de patients adultes atteints de leucémie aiguë parvenant à survivre au-delà de 10 ans après leur rémission complète. Un taux de mortalité élevé qui s’explique principalement par le risque de rechute. Ce phénomène difficilement prévisible serait lié, selon certains chercheurs, au concept de dormance tumorale. « La dormance tumorale c’est le fait que des cellules tumorales vont pouvoir persister plus ou moins longtemps dans un organisme sans déclarer de cancer», explique Xavier Thuru, ingénieur de recherche en immunologie à l’Institut pour la recherche sur le cancer de Lille (IRCL).
Cette dormance peut survenir après une première phase de traitement, bien que le patient soit entré en période de rémission. « On parle de rémission et non de guérison car, en dessous d’un seuil de détection, il se peut que des cellules résiduelles persistent dans l’organisme sans que l’on puisse les détecter. » Ces cellules seraient le fruit d’une mutation ayant résisté au traitement et échappant aux reconnaissances du système immunitaire. On parle de dormance par immuno-échappement.
Pendant plusieurs années, ces cellules vont se cacher dans l’organisme dans un état de dormance, soit de non-prolifération, rendant difficile leur détection. Cet état de latence peut se maintenir indéfiniment, « mais il se peut aussi qu’à un moment donné, sans que l’on ne sache vraiment pourquoi, ces cellules se remettent à proliférer et développent un nouveau cancer », observe Xavier Thuru.
Un suivi très poussé
La dormance tumorale est un concept récent. Connu depuis une vingtaine d’années, il reste largement ignoré des patients. « Ce serait donner trop de stress pour quelque chose qui existe mais qui reste encore un concept aujourd’hui », souligne le chercheur. De fait, de par la difficulté à expliquer et à détecter ce phénomène, nombre d’oncologues préfèrent parler de maladie résiduelle, c’est-à-dire de cellules ayant échappé à un traitement, à l’origine d’une rechute rapide.
Les patients en rémission sont suivis scrupuleusement. On observe ainsi régulièrement l’évolution des marqueurs biochimiques ou encore la répartition des masses. Dans le cas d’une rechute, le patient doit se plier à un nouveau traitement. La mise au point d’un médicament visant la dormance tumorale assurerait à ces derniers un certain confort de vie.
L’équipe de recherche de Xavier Thuru se divise en plusieurs branches. Une première s’attache à identifier les marqueurs potentiels de prédisposition à la dormance, « ce qui représente une potentielle cible thérapeutique ». Une fois cette cible validée, une deuxième équipe va s’occuper d’élaborer un médicament capable d’agir sur cette cible potentielle, puis de tester ce médicament sur différents modèles.
Comprendre les mécanismes
« La difficulté, dans l’étude de la dormance tumorale, c’est que cela concerne des cellules qui ont arrêté de proliférer. Or pour les étudier, il faut qu’elles re-prolifèrent, et donc les sortir de ce système de dormance. Il est donc impossible d’établir un vrai modèle de dormance », précise Xavier Thuru.
Son équipe se concentre principalement sur la protéine PD-L1, une immunoglobuline de surface présente dans la majorité des cancers. La présence de cette dernière sur les cellules tumorales empêche son élimination par le système immunitaire, en agissant sur les lymphocytes T. « On sait qu’il y a un immuno-échappement, explique le chercheur. Si on bloque l’interaction entre PD-L1 et les lymphocytes T, alors on bloque l’immuno-échappement responsable de la dormance. » Facile à dire, mais pas à faire, note-t-il encore, car « ce qui est compliqué, c’est de comprendre comment cela se produit ».
L’IRCL a pris le parti de développer des « petites molécules » qui vont se lier et se délier aux marqueurs tumoraux pour empêcher l’interaction PD-L1, à l’inverse de l’immunothérapie dont le principe est de développer des anticorps qui iront se fixer indéfiniment à ces marqueurs.
Un milliard de molécules
Depuis juillet 2020, l’ingénieur et son équipe ont étendu à l’échelle mondiale un brevet pour une famille de molécules, nommée PyDLones, leur permettant d’avoir le monopole sur l’étude de ces dernières. S’ils étaient récemment passés sur l’étude en « vivo », leur modèle de « candidat médicament » s’est avéré présenter des problèmes de solubilité… L’équipe a donc été contrainte de rebrousser chemin. « Le jeu du chercheur est fait de retours en avant et en arrière. Ce n’est pas un chemin tout tracé », glisse Xavier Thuru avec humilité.
En France, très peu d’équipes travaillent sur la dormance tumorale actuellement. Le chercheur confie ne pas encore sentir les retombées de la pandémie du Covid-19 sur leurs recherches. « Avec le confinement de trois mois et la remise en marche des équipements sur le vivant, nous avons perdu six mois en tout », déplore-t-il cependant. Toutefois, l’impact de la crise risque de se faire surtout ressentir dans les années à venir, notamment dans la recherche de financement. « Il y a actuellement beaucoup d’appels à projets qui portent essentiellement sur le Covid-19, en oubliant qu’il y a d’autres pathologies à côté. »
Une situation qui n’enlève rien à l’optimisme du chercheur, selon lequel l’important est de toujours être en capacité de se remettre en question. « La biologie n’est ni blanche, ni noire, mais grise. Elle n’est pas compliquée, seulement complexe », s’amuse Xavier Thuru.