Les « BioMEMS » expliqués par Deniz Pekin : quand la science fabrique des outils miniaturisés pour mieux diagnostiquer les cancers
Forte de son doctorat en diagnostic moléculaire, Deniz Pekin mobilise ses connaissances de biologiste pour mettre au point des technologies dites «BioMEMS », pour microsystèmes électromécaniques biologiques, au service de la recherche médicale. Ses employeurs sont des instituts spécialisés tels que l’INSERM*1 et l’IRCL*2. Au sein de ce dernier, elle fait partie du projet SMMiL-E, où elle travaille sur des méthodes développées à l’Université de Tokyo. Entretien.
Deniz Pekin à l’œuvre, photo : ircl.org
Quel est le rôle du projet SMMiL-E [Seeding Microsystems in Medicine in Lille-European-Japanese Technologies against Cancer]?
Deniz Pekin, biologiste : Je fais partie d’une équipe du CNRS franco-japonaise dite unité mixte internationale (UMI), où ingénieurs, biologistes et physiciens travaillent ensemble sur le projet de recherche de l’unité miroir SMMiL-E. Elle a été créée en 2015, afin de transférer à l’institut lillois les connaissances de l’équipe LIMMS, basée à l’Université de Tokyo (institut de science industrielle). La thématique principale de nos recherches s’articule autour de la lutte contre le cancer, plus précisément sur les compétences des BioMEMS.
En quoi consiste cette fameuse technologie des « BioMEMS » ?
D. P. : MEMS signifie en anglais « micro-electromecanical systems ». C’est une technologie qui fusionne ingénierie mécanique et électronique. Cela consiste à fabriquer des outils de taille nanométrique ou millimétrique. Cette micro-fabrication se divise entre sensors et transdusors. Les transdusors étant des outils qui transforment un type d’énergie en un autre, ici, c’est de l’énergie mécanique convertie en un signal électrique. Les MEMS sont déjà présents dans notre quotidien, par exemple dans nos téléphones avec un gyro-senseur qui permet de faire pivoter notre écran lorsqu’on incline notre appareil. L’ensemble de ces technologies peut s’appliquer à la biologie, afin de manipuler des objets extrêmement petits comme des cellules, et même des protéines en dernière échelle. Car en biologie, on a besoin de manipuler de la matière biologique, ce qui nécessite des outils miniaturisés capables d’une précision très importante comme le permet la technologie MEMS. Cela permet également d’utiliser des volumes très petits d’échantillons, car ils peuvent rapidement coûter très cher, et sont très rares, comme un échantillon collecté sur un patient par exemple.
Comment employez-vous ces techniques dans votre travail ?
D. P. : Les BioMEMS, c’est l’axe des systèmes électromécaniques au service de la biologie. Là où j’utilise des BioMEMS et la micro-fluidique [l’art et la manière de manipuler des liquides à l’échelle microscopique], c’est sur deux thématiques. D’un côté, il y a la technologie qu’on appelle « organ-on-a-chip » (organe sur puce) qui reproduit des micro-organes dans des systèmes BioMEMS, pour tester des traitements dessus. Quant aux autres chercheurs dans l’équipe Smmil-E, le Dr. Fabrice Soncin fabrique des vaisseaux sanguins artificiels et le Dr. Vincent Senez reproduit le pancréas sur une puce microfluidique. Autrement, je fais partie d’un projet d’entreprise, qui consiste à développer des nano-pincettes capables d’attraper et de manipuler des cellules uniques. Le but est de manipuler les cellules cancéreuses une à une pour déduire leur potentiel métastatique. [La métastase correspond à la migration de tumeurs cancéreuses dans tout le corps, ce qui constitue un des cas les plus graves]. L’idée est d’utiliser les propriétés physiques des cellules cancéreuses qui diffèrent des cellules non cancéreuses.
L’équipe franco-japonaise SMMiL-E, source : https://smmil-e.com/
En quoi est-ce une révolution ?
D. P. : En biologie, on sait très bien mesurer des propriétés biologiques mais pas les propriétés physiques comme la souplesse, l’élasticité, les propriétés électriques (conductivité, résistance), ce à quoi servent les BioMEMS. C’est un changement de paradigme en un sens puisqu’on ne considère plus les cellules comme des objets biologiques mais comme des objets physiques que l’on peut manipuler.
Quel est l’intérêt des BioMEMS dans la recherche contre le cancer ? Quelles en seraient les applications à long terme ?
D. P. : En cancérologie, les BioMEMS sont un domaine très prometteur, même si les grandes questions reposent essentiellement sur la biologie. BioMEMS reste un outil, bien que très utile. Avec les BioMEMS, on est capable de faire des choses en tant que biologiste que l’on ne savait pas faire avant (reproduction d’organes miniaturisés, interaction précise avec la matière biologique..).
Quels en sont les coûts ?
D. P. : Cela dépend comment on aborde le type de production. Si l’on peut détecter les cellules cancéreuses dans le sang grâce au BioMEMS, l’alternative en biologie consiste à utiliser des anticorps synthétiques, ce qui peut revenir très cher. Un kit commercial coûte 345€ pour seulement une manipulation. Pour autant, dans le cas des BioMEMS, on ne peut pas dire que ce soit moins cher puisqu’on a besoin des infrastructures nécessaires pour les produire et les mettre en action. L’expression « lab-on-a-chip » (laboratoire sur puce) est trompeuse, et plutôt à vocation commerciale. On est capable de miniaturiser un laboratoire sur une puce micro-fluidique, certes, mais on a besoin de grosses machines derrière pour les faire fonctionner. Il faut se méfier quand on parle de réduction de coûts. En revanche, en BioMEMS, on utilise la technologie du silicium, qui a la particularité d’être très chère à l’unité, mais dont la production de masse devient rentable. Par exemple, si on en produit 1000, on réduit le coût à l’unité.
Source : https://smmil-e.com/ La « salle Blanche », ou “salle propre” du projet SMMiL-E à l’IRCL, dans lequel la concentration de particules est contrôlée afin d’éviter la présence de particules de poussière
Où situez-vous votre travail en termes de diffusion de l’innovation ?
D. P. : L’entreprise que nous souhaitons créer repose sur les découvertes du Prof. Dominique Collard. Il aura fallu transférer la technologie des nano-pincettes élaborée en partie par des chercheurs français de l’Université de Tokyo jusqu’au projet miroir basé à Lille, pour en faire un projet plus crédible. Le brevet original comporte quelques chercheurs japonais mais le brevet principal est 100% Français. Ce dernier a été déposé en 2019, mais il n’est pas encore sorti. Le projet d’entreprise va exploiter ce brevet de nano-pincettes dont les essais cliniques avant diffusion sont prévus pour mars 2023. L’autre projet à terme est de sortir un dispositif médical capable de détecter les cellules cancéreuses dans le sang. Le but ultime est de vendre à des hôpitaux et des laboratoires privés. Le défi technologique et d’ingénierie principal restera alors de rendre cette machine aussi « presse-boutons » que possible.
Qui finance ce projet ? Est-ce que l’État et les collectivités vous soutiennent ?
D. P. : La région Hauts-de-France finance ce projet au travers d’un CPER [Contrat de Plan État-région] d’un montant à hauteur de 4 millions d’euros.
Selon vous, quelle place occupe la France dans la recherche médicale à l’international ?
D. P. : La France dispose de nombreuses unités mixtes internationales rattachées au CNRS, celui-ci étant reconnu et ouvert à l’étranger. Il est clair que la France a une place bien assurée dans le monde de la recherche. Cinquante-neuf Français ont reçu le prix Nobel dont plus de 30 dans les sciences. En revanche, malgré le fait que nous soyons relativement bons en sciences en France, le doctorat n’est pas du tout reconnu socialement dans le pays, contrairement à l’Allemagne par exemple. Toutefois, le politique joue beaucoup, c’est pourquoi travailler en Europe est un véritable avantage.
site projet SMMiL-E : https://smmil-e.com/
Le programme sur le site de l’IRCL : https://www.ircl.org/programme-smmil-e/
*1 INSERM → Institut national de la santé et de la recherche médicale
*2 IRCL → l’Institut pour la Recherche sur le Cancer de Lille
Maÿlis DUDOUET