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« Et puis un jour, un son est sorti », quand l’apprentissage de la voix œsophagienne brise le silence

by | Feb 4, 2023 | Au fil de l'eau

À la suite d’une laryngectomie totale, Martine Marcaille Lejeune perd sa voix. Aujourd’hui et après un long apprentissage, elle s’exprime de nouveau grâce à la voix œsophagienne.  

Martine Marcaille Lejeune avec son chien Diego. © Martine Marcaille Lejeune

« Aujourd’hui, j’ai cette voix particulière certes, mais socialement et psychologiquement, j’ai retrouvé un équilibre », confie Martine Marcaille Lejeune, le sourire aux lèvres. Cette retraitée a parcouru un long chemin pour apprendre la voix œsophagienne, qui lui a permis de retrouver son autonomie. Après avoir été diagnostiquée d’un cancer des cordes vocales en 2003, et après plusieurs récidives, elle a recours en urgence à la trachéotomie, une ouverture au niveau de la trachée permettant la respiration. Dix jours plus tard, le 26 décembre 2016, elle subit une laryngectomie totale, l’ablation du larynx, au Centre hospitalier Régional Universitaire (CHRU) de Lille. « Je ne pouvais plus parler, plus aucun son ne sortait ». Du silence à la voix, on lui partage alors une solution : l’apprentissage de la voix œsophagienne, qui consiste à créer un son, à la manière d’un rot, dans l’entrée de l’œsophage.

Un long parcours

Elle commence sa rééducation dans un cabinet d’orthophonie à Lourches, dans le Valenciennois, avant de se rendre dans un centre de rééducation spécialisé à Seclin. « Les deux premiers mois, je ne parlais pas du tout. L’orthophoniste me répétait que c’était un travail sur moi-même », partage Martine Marcaille Lejeune sur ses premiers pas dans l’apprentissage de la voix. Après deux stages de rééducation de quatre et six semaines, et un travail quotidien, elle commence peu à peu à perdre espoir.  « C’est très fatigant et long à apprendre. Au bout de trois semaines, je n’y arrivais pas, je voulais arrêter. Ma fille m’a dit de ne pas abandonner, j’ai décidé de continuer », confie-t-elle.

Martine Marcaille Lejeune avec son chien Diego. © Martine Marcaille Lejeune
Martine Marcaille Lejeune avec son chien Diego. © Martine Marcaille Lejeune

Et puis, cette passionnée de randonnée canine y arrive petit à petit. « On passe du le au lé, on apprend de plus en plus à articuler. Je la travaillais tous les jours pour m’améliorer ». Des sons, des mots, des phrases. Au fur et à mesure de son apprentissage, Martine arrive de plus en plus à communiquer avec cette voix, et à l’utiliser au quotidien.« Il faut être prêt. Une fois qu’on est plongé dans le silence, on perd beaucoup de choses », confie-t-elle. Avec sa nouvelle voix, qu’elle a perfectionnée depuis 2017, elle arrive désormais à être autonome dans ses activités. « J’arrive à parler au téléphone. Au début, c’était impossible, on ne me comprenait pas », partage-t-elle. Pour parler de son expérience, elle décide de créer sa page Facebook Cancers ORL du Silence à la Voix, où elle conseille et rencontre de nombreuses personnes, touchées de près ou de loin par la laryngectomie. « Comment s’accepter quand on est laryngectomisé » est son leitmotiv.

« Il faut faire le deuil de son ancienne voix pour accepter la nouvelle »

Éduquer et aider les personnes à apprendre cette voix, c’est l’un des objectifs de Margaux Nobécourt, orthophoniste libérale à Carvin. « Redonner la voix à quelqu’un, c’est miraculeux. Ils l’ont perdu, et nous, on va tout faire pour qu’ils la retrouvent », partage-t-elle. La voix œsophagienne permet aux patientes et patients d’acquérir une nouvelle autonomie. « Ils peuvent aller chercher leur pain à la boulangerie, prendre rendez-vous sans demander l’aide de quelqu’un. C’est important pour eux », termine-t-elle. De son côté, Gwenaelle Le Blan, orthophoniste dans un centre de rééducation spécialisé dans le Nord, observe les différentes utilisations de cette voix. « Chaque patient a des attentes différentes. Certains seront satisfaits d’une voix fonctionnelle, même imparfaite. D’autres voudront la perfectionner sur le plan technique et esthétique ». Certains patients n’y ont par ailleurs jamais recours. Par choix ou par incapacité de l’apprendre, ils se tournent vers l’écrit ou la voix chuchotée. Autrement, l’apprentissage de la voix œsophagienne aide à la réinsertion sociale des patientes et patients.  « Je leur apprends un nouveau moyen de communiquer. Ils sont contents, reconnaissants et on garde généralement un bon contact. C’est un super accompagnement », termine Gwenaelle Le Blan.

Zoom Une nouvelle voix pas si facile à acquérir

L’apprentissage de la voix œsophagienne pour les patients sans implant phonatoire peut-être long et fatigant. Margaux Nobécourt, orthophoniste libérale spécialisée dans la rééducation de cette voix, l’explique : « c’est une voix en apnée, et c’est loin d’être naturel. Il faut acquérir une bonne gestion des souffles ». Elle nécessite de l’endurance ainsi qu’un apprentissage quotidien. La rééducation peut prendre des mois voire des années, et elle peut dépendre de l’acquisition de la technique, de la motivation et de l’aspect psychologique du patient.

Comprendre ce qui est arrivé

 « Dans un premier temps, le patient doit comprendre ce qui lui est arrivé anatomiquement » commence Margaux Nobécourt. L’apprentissage se compose ensuite de plusieurs étapes. Le patient doit acquérir « l’indépendance des souffles », une technique consistant à gérer indépendamment son souffle buccal et son souffle pulmonaire. Il faut ensuite apprendre à injecter de l’air par l’œsophage avant d’apprendre à le faire ressortir, et donc, à l’éructer. L’éructation est un rôt, et il permet de produire un son œsophagien. C’est une rééducation qui peut être intensive, très longue et très difficile à acquérir selon les personnes qui souhaitent l’apprendre. Gwenaelle Le Blan, orthophoniste en centre de rééducation dans le Nord, observe aussi une autre difficulté après l’apprentissage : la peur du regard des autres. « Beaucoup n’osent pas utiliser cette voix en public par peur du jugement. Il faut arriver à l’accepter », explique-t-elle. La voix œsophagienne ne ressemble pas à leur ancienne voix, et certains peuvent avoir des difficultés à faire « le deuil de leur ancienne voix »,selon Gwenaelle Le Blan. « Le premier pas, c’est de s’habituer à s’entendre, et à l’accepter comme elle est ».  

Voix oesophagienne (3) orthophoniste

© Margaux Nobécourt

© Gwenaelle Le Blan


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