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« On a eu des pertes de chance »

by | Mar 26, 2021 | Dernières prises

Englué dans une crise sanitaire mortelle depuis plus d’un an, le personnel hospitalier subit les effets pervers de confinements successifs et du climat de crainte actuel : des annulations de rendez-vous médicaux, des retards de prise en charge et des pertes de chance. Sébastien Baudot, atteint par un cancer de la prostate et opéré au mois d’août, témoigne de conditions qu’il juge « inhumaines ».

Les heures passent, la douleur persiste, le manque subsiste. Atteint d’un cancer de la prostate, Sébastien subit sa convalescence en un mois d’août marqué par la canicule. Sous une chaleur étouffante, sans possibilité d’aération, il attend son retour près de ses proches, interdits de visites à la clinique en ces temps de pandémie mondiale. À ses côtés, des professionnels de santé se battent. Seulement, leurs armes ne sont plus les mêmes. 

Le personnel de santé se démène face à un double adversaire potentiellement mortel. L’objectif est clair : les patients ne doivent pas pâtir de cette situation. « En cancérologie, on a essayé de prendre en charge les gens sans délais supplémentaires. On a privilégié les interventions », affirme la docteure Laure-Émilie Rebstock, gynécologue au sein de l’hôpital Bel-Air de Thionville. 

Son collège urologue, le docteur Petre Adrian Turcanu, complète : « nous avons suivi les recommandations énumérées par l’association française d’urologie ». Celles-ci préconisent la prise en charge immédiate de la « chirurgie urologique urgente » et le maintien des chirurgies urologiques programmées « en fonction du pronostic de chaque cas » – le pronostic résultant d’un calcul prenant en compte la maladie, le profil du patient et les ressources « de soins disponibles ».

Entrée de l’hôpital Bel-Air (Thionville) – CHR Metz-Thionville. Crédit photo : Julien Baudot

Retards de diagnostics et pertes de chances

Si les interventions sont maintenues, les délais d’accès à des examens d’analyse, tels que des PET-scans – une technique d’imagerie permettant de détecter les tumeurs cancéreuses –   sont plus longs. « Pour la cancérologie, on a constaté que beaucoup de personnes ont eu un retard de diagnostic », s’inquiète une chirurgienne digestive de Thionville, la docteure Béatrice Alves-Neto. 

« On craint qu’il y ait eu des délais et donc qu’on ait [massivement] des gens plus tard », ajoute la docteure Laure-Émilie Rebstock. « Une patiente avait senti une boule au niveau de son sein et avait eu des difficultés à obtenir une échographie mammaire dans les plus brefs délais. Normalement une mammographie doit être réalisée en une semaine ; là, c’était plus long. »

Les annulations de rendez-vous médicaux et la crainte des urgences retardent davantage le processus de prise en charge d’un cancer. Certains patients voient dans l’établissement un foyer épidémique mortel. « Des patients avec des douleurs abdominales avaient peur de venir à l’hôpital. On les a eus trop tard », désespère la docteure Alves Neto. Selon la Ligue contre le Cancer, « près de 93 000 diagnostics » n’ont pu être réalisés en 2020. 

La saturation des hôpitaux et le climat de peur sont la cause de ces retards, entraînant des pertes de chance. « Malheureusement, on a eu des patients avec des métastases avancées », ajoute-elle. Mais cette professionnelle en cancérologie se veut positive. « La seconde vague est différente car on n’arrête pas les consultations. Au premier, on a tout annulé du jour au lendemain, mais pas durant celle-ci! ».

Protocoles adaptés

D’autant que le système hospitalier a réussi sa mue. Afin de lutter efficacement face aux cancers, des changements de protocole ont été effectués. « En chirurgie, on a des réunions de concertation pluridisciplinaires, avec des chimiothérapeutes, radiothérapeutes et chirurgiens. On décide de la prise en charge des patients. On a parfois changé de protocoles en fonction des pathologies. Par exemple pour les chirurgies rectales, on faisait une radiothérapie courte pour opérer rapidement au lieu de faire une chimiothérapie radiothérapie plus longue avec le risque d’attraper la Covid-19 », analyse la chirurgienne digestive. Cette modification des interventions n’est pour autant en aucun cas dangereuse pour le patient, précise-t-elle.

Parallèlement, la crainte suscitée par les rendez-vous médicaux est compensée par la rassurance des téléconsultations. « J’en ai fait plusieurs durant le confinement. C’était pas mal. Pour eux, ça paraissait plus facile et c’est intéressant dans le futur pour les personnes qui ont du mal à se déplacer », explique Laure-Émilie Rebstock. 

L’accompagnement numérique des patients

L’utilisation du numérique s’est également avérée essentielle pour Sébastien. S’il n’a pas bénéficié de la téléconsultation, son téléphone l’a accompagné durant toute sa convalescence. Opéré d’un cancer de la prostate durant le mois d’août, il s’est retrouvé seul. Abandonné dans une chambre d’hôpital sans le soutien de ses proches, dont la venue était proscrite. « Je me sentais, suite à une opération lourde, seul. Personne pour m’aider, personne pour m’écouter. Heureusement, je pouvais appeler mes proches. Mais c’est totalement différent [d’une visite] ». 

La Docteur Béatrice Alves Neto déplore cette situation : « Pendant la seconde vague, les visites sont autorisées une heure et demie, une personne à la fois. Mais, durant la première vague, ce qui était dur pour les patients, c’était le manque de visites. La phase de convalescence peut même s’en trouver plus longue ». 

Pour se remettre sur pied, plusieurs associations proposent un nouvel accompagnement 2.0. Covid-19 oblige, les rassemblements ne sont plus autorisés. Les Dames de cœur*, une association engagée auprès des personnes atteintes d’un cancer dans le Nord-Mosellan, présidée par Nadine Wolf, se mobilisent sportivement auprès de patients en visioconférence. « Les patients ont un double stress avec les confinements. Donc on leur propose des activités physiques adaptées de bien-être : de la relaxation et de la sophrologie. Pour le reste [des activités], soit on s’adapte à distance via Skype, soit on remet à plus tard », explique-t-elle.

« Par ailleurs, ça nous permet d’avoir plus de monde en même temps, et nous sommes plus accessibles. Une Parisienne participe à nos séances, par exemple », se réjouit la présidente des Dames de coeur. Si la pandémie actuelle accentue les difficultés rencontrées par les patients, la solidarité de citoyens du quotidien laisse présager une convalescence ensoleillée pour ces derniers. 


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