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“Quand je n’y pensais pas, mon bras se levait tout seul” : Se rééduquer grâce à l’escrime après un cancer du sein

by | May 7, 2021 | Planète Crabe

Au Cercle d’escrime du Havre, un cours adapté s’adresse aux femmes qui ont souffert d’un cancer du sein. Deux fois par semaine, elles y retrouvent la mobilité perdue après les opérations, mais aussi la convivialité d’un groupe et une plus grande confiance en elles. 

Un immense sourire s’affiche sur le visage d’Assina Lounis lorsqu’elle lève le bras droit au-dessus de la tête, bien au-delà de ses épaisses boucles brunes. Ses yeux clairs s’illuminent. “Avant, je ne pouvais lever mon bras qu’au niveau de la taille, et je ne pouvais même pas le faire bouger vers les côtés !”, souligne-t-elle. 

“Avant”, c’était il y a un an : Assina Lounis venait de subir une mastectomie du sein droit, en janvier 2020, et commençait la radiothérapie deux mois plus tard. “On m’a diagnostiqué un cancer du sein en juin 2019, j’avais 44 ans. Il était très agressif.” Problèmes de posture, tendinite, capsulite : les difficultés physiques s’enchaînent. 

“J’ai fait tellement d’allers-retours à l’hôpital que même les médecins voulaient me sortir du contexte médical”, raconte-t-elle. En novembre dernier, elle se met au sport. Au programme : gym et marche nordique – rapidement remplacée par de la marche, plus clémente avec la capsulite. “C’est en faisant de la marche que j’ai rencontré Marie-Christine, qui m’a parlé de l’escrime.”

Onze femmes participent au cours d’escrime adaptée du Havre cette année. – Cercle d’escrime du Havre

Assina Lounis rejoint donc en début d’année le Cercle d’escrime du Havre, plus particulièrement le cours d’activité physique adaptée (APA) réservé aux femmes ayant souffert d’un cancer du sein. Aux commandes, le maître d’armes Gilles Jaffrézic. Il se forme en 2014 à cette pratique grâce à l’association Solution Riposte, un programme développé dès 2011 par la Fédération, à l’initiative de l’anesthésiste et escrimeuse toulousaine Dominique Hornus-Dragne. “L’escrime est super adaptée pour le cancer du sein, ça colle complètement !”, s’enthousiasme Gilles Jaffrézic.

 Rebouger sans y penser

L’escrime permet avant tout de retrouver la mobilité de l’épaule. La pratique adaptée se fait avec un sabre, qui implique de toucher l’adversaire avec la lame, plutôt qu’avec une épée, dont la pratique oblige à toucher avec la pointe, ce qui est plus traumatisant. “On simplifie la pratique pour que la seule cible qu’elles aient à toucher soit le masque, ajoute Gilles Jaffrézic. Elles doivent donc protéger leur propre tête, ce qui les oblige à lever la main.” 

Ces mouvements permettent de supprimer les adhérences, ces petites boursouflures qui se forment là où la peau a été ouverte, et qui collent aux muscles. C’est pourquoi ces femmes sont obligées de pratiquer le sabre du côté de leur opération. “Ça peut être déstabilisant. Sur mes onze élèves cette année, seules deux pratiquent avec leur main forte”, précise Gilles Jaffrézic.

Marie-Stéphane Pujol fait partie de celles qui ont dû s’adapter. Elle a rejoint le groupe à la rentrée 2018, soit deux ans après son diagnostic. Elle pratique à gauche, le côté qui a subi une tumorectomie, bien qu’elle soit droitière. “Je ne pourrais pas faire de sabre à droite, maintenant. Mais j’ai eu plus de problèmes avec les pieds, pour les fentes et les déplacements. Et si jamais on essaie de changer, Gilles ne nous laisse pas faire !”, rit-elle. Inconsciemment, les femmes mobilisent leur bras pour se mettre en garde, attaquer et se protéger. Une manière indirecte de se réapproprier leur corps, selon le maître d’arme havrais : “Une fois opérées, les femmes ont une attitude très protectrice envers leur poitrine. Avec l’escrime, c’est tout le contraire, la posture est très ouverte.”

La position en garde permet de mobiliser le bras. – Cercle d’escrime du Havre

Au-delà du physique, le mental

Au-delà du corps, l’escrime fait également travailler les méninges. “La chimiothérapie m’avait fait perdre beaucoup de concentration et de coordination, se souvient Assina Lounis. À l’entraînement, on est toutes alignées, on se met en garde, et Gilles nous donne un rythme  pour avancer, reculer, faire des fentes, étirer le bras. Il faut être hyper concentrée sur lui pour le suivre ! Et quand on est en duel, on est aussi très concentrées, on n’a pas envie de se laisser battre!”, s’amuse-t-elle.

Si la compétitivité n’a pas disparu, la convivialité non plus. “J’avais certaines appréhensions, je pensais que j’allais me retrouver avec des cancéreux qui ne parlent que de leur maladie, raconte Assina Lounis. Mais on ne parle quasiment pas de ça. En ce moment, on parle surtout de la réouverture des bars et du déconfinement !” 

Et s’il lui est arrivé d’avoir l’impression de ne plus progresser, Assina Lounis a rapidement été rassurée par son maître d’armes : “Gilles est très gentil, prévenant, à l’écoute et attentionné : il regarde tous nos mouvements, nos faiblesses, nos améliorations. On a fait un mouvement d’épaule, j’arrivais super bien à lever mon bras, et Gilles s’est aperçu que quand je n’y pensais pas, mon bras se levait tout seul.” “C’est super cool de les voir évoluer, après cinq ou six semaines, on se dit qu’on sert à quelque chose,” se réjouit Gilles Jaffrézic.

“Quand on est en duel, on est aussi très concentrées, on n’a pas envie de se laisser battre !”

Assina Lounis

En duel, les femmes mobilisent leur bas en attaquant et en se protégeant la tête. – Cercle d’escrime du Havre

Un retour à la vie sociale

Ne pas trop réfléchir, c’est bien l’un des buts principaux de ce cours. Marie-Stéphane Pujol n’avait perdu que très peu de mobilité après sa tumorectomie. Si elle a choisi de rejoindre le groupe, c’était plus dans l’optique de se sentir mieux que de retrouver l’usage de son bras : “Mon but avec l’escrime, c’était de retrouver une vie, de faire du sport, retrouver ma confiance en moi et revoir du monde. Avoir l’impression d’être comme tout le monde.”

Un objectif que l’on peut considérer comme atteint, puisqu’elle fait aujourd’hui partie du conseil d’administration du cercle. “Ça m’a permis de me réengager dans le sport et la vie sociale,” sourit-elle.  L’escrime lui permet de faire le vide : “C’est un moment où on oublie tout.” Une sensation partagée par Assina Lounis : “C’est le seul moment où je ne pense à rien d’autre, même pas à mes douleurs.” Un bienfait clairement identifié par leur maître d’armes : “L’escrime est bénéfique mécaniquement et moralement, explique Gilles Jaffrézic. Les femmes sous chimiothérapie sont tout le temps crevées, mais avoir une activité leur permet de passer au-delà de la fatigue.” 

La nécessité d’un réseau

L’activité physique permet également de réduire les risques de rechute. Encore faut-il que les femmes aient accès à ces activités adaptées. “Pendant trois ans, je n’ai eu personne à ce cours, parce que je n’avais aucun contact”, se désole Gilles Jaffrézic. Le projet communal “Le Havre en forme” lui a permis de faire connaître son cours. Mais pour toucher encore plus de monde, le cercle d’escrime prévoit de rejoindre le réseau normand Imapac – Initier et maintenir une activité physique adaptée avec un cancer. 

“Quand on est reconnu par Imapac, le réseau contacte tous les médecins avec des patients dans ce champ pour sensibiliser à l’APA et ses bienfaits”, explique Gilles Jaffrézic. Le but : proposer le plus d’APA possible, un maillage serré du territoire, et des formations pour les éducateurs sportifs. “On nous a ouvert les yeux, confirme Gilles Jaffrézic, se remémorant sa première formation à l’APA. Voir que nos outils pouvaient servir à autre chose, à d’autres personnes, ça m’a parlé.” 

À l’avenir, Gilles Jaffrézic souhaiterait faire évoluer davantage ses élèves. “Je voudrais leur proposer un créneau pour une pratique un peu plus évoluée, un peu plus autonome.” Une idée qui plaît déjà à Marie-Stéphane Pujol, qui, après trois ans d’escrime adaptée, se verrait bien repousser un peu plus ses limites : “J’aimerais aller encore plus loin et faire de l’escrime classique. Mon but, c’est de faire partie des deux groupes.” Même détermination du côté d’Assina Lounis : “Tant que je peux continuer, je le ferai !”


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